Le network tunisien est, en cette période de fin d’année, marqué par deux événements qui, quoique rattachés tous les deux à un esprit de fête, sont sensiblement divergents, mais qui convergent vers une même idée : notre société est en train de muter, une mutation à cerner, à encadrer et à surveiller de près. Du mariage des Laârayedh aux sapins et autres joyeux Noël pullulant sur la toile, autant de travers à voir de face !
Ali Laârayedh, actuel chef du gouvernement, a marié il y a quelques jours son fils. Jusque-là rien d’exceptionnel. Une vidéo de l’événement a fait le tour de la toile. Le voyeurisme des internautes n’était pas anodin. Il prend pour base un sentiment mêlé de surprise, d’étonnement et d’indignation.
La cérémonie en question est en effet exclusivement masculine. Il semblerait que la mixité ne soit pas du goût des Laârayedh. Ceci relève pour certains de la liberté personnelle. Soit ! Mais quand le concerné est celui qui mène le pays, qui dessine les contours de sa politique et qui en dresse l’avenir, les libertés personnelles du personnage public qu’il est désormais deviennent intéressantes et révélatrices.
Peut-on avoir, à l’échelle personnelle de tels a priori quant à la femme et afficher un islamisme moderniste, en faire sa spécificité et y prendre appui pour s’ériger au sommet d’une nation qui a fait de la modération sa spécificité culturelle ?
Au cours de ce mariage, des jeunes gens ont entonné des chants appelant au djihad, ont crié des slogans appelant à la gloire du Yémen et ont glorifié des thématiques qui sont loin d’être les nôtres. Se développant dans leur microcosme, leurs idées envers lesquelles ils manifestent tant d’engouement en ont scandalisé plus d’un.
Ce jeune Laârayedh, connu pour son extrémisme, dont le nom a été mêlé à l’affaire de l’université de la Manouba et dont l’ombre plane sur les convois de djihadistes tunisiens en Syrie ,ne s’est pas caché, lors de cette cérémonie, d’appartenir à cette mouvance que tout un pays combat. Un combat de façade, visiblement, puisque les hauts dirigeants du pays étaient présents et des Ben Jaâfar, Marzouki et encore moins Laârayedh, nul ne semblait gêné par la glorification du djihad en leur présence.
Sourires béats aux lèvres, nos présidents entassés parmi cette foule en furie approuveraient-ils, en réalité, le djihad ? Pourtant, de l’extrémisme ils avaient fait leur ennemi national. Pourtant, plusieurs familles ont pâti de cette islamisation montante. Pourtant, les chiffres sont bien là et le constat est amer : le plus grand nombre de djihadistes morts en Syrie est d’origine tunisienne. Tant de familles éplorées à cause de principes méconnus dans notre société et dont on fait la gloire sous les regards hagards de nos gouvernants !
Que notre société mute est un signe de vitalité, de régénérescence et de pérennité. Car, dans les mouvements d’ouverture à l’Autre, il y a une part de retour vers soi, vers ses valeurs qui prennent davantage de reliefs, qui revêtent un intérêt grandissant et qui se révèlent dans l’harmonie de l’échange. C’est cela l’essence même de la tolérance.
Il est évidemment bénéfique d’avoir un esprit des plus ouverts, d’accepter la différence de l’Autre et d’ y voir une richesse pour notre patchwork social. Il est nécessaire de croire au panache que peut représenter un melting pot culturel.
Cependant, certains travers de l’ouverture à l’Autre ne peuvent que nous laisser sceptiques et nous amener à croire que notre salut ne passera que par un certain nationalisme.
Le besoin de voir se concrétiser notre attachement à nos valeurs, au moyen d’études sociologiques, de débats, de manifestations culturelles et de pratiques personnelles est vital pour notre société, pour sa mutation inévitable et pour l’affirmation d’une identité renouvelée, mais non obsolète. Car des changements sociaux brutaux se détachant totalement de notre base culturelle commune ne peuvent qu’engendrer une dichotomie dans notre paysage social, rompant avec l’harmonie habituelle et installant des disparités idéologiques discordantes.
En Tunisie et alors que dans d’autres contrées pas très lointaines, on a tendance à représenter le nationalisme comme l’ennemi de la République, nous avons besoin de ce principe pratique, sur le plan culturel, essentiellement. Car notre tunisianité tend à s’effacer dans les travers des tiraillements entre une arabisation ayant des allures politisées et une francophonie diabolisée par certains et prônée à l’excès par d’autres.
Nous avons besoin d’un nationalisme « inclusif » qui ne fera pas abstraction de l’Autre et de ses valeurs, mais les greffera à soi, sans effacer son essence, sans gommer son entité et sans nier l’identité qui est la sienne. Evoquant ce qu’il désigne comme « l’exception tunisienne », Lotfi Maktouf, dans son ouvrage « Sauver la Tunisie », a écrit « Souvenez-vous de l’immensité temporelle qui caractérise une Tunisie millénaire et son socle civilisationnel, à l’aise avec son héritage multiculturel, son identité arabo-musulmane et son devenir». Mais pourquoi s’en souvenir ? Cette Tunisie est à reconquérir!
Joyeuses noces à Hichem Laârayedh et joyeux Noël aux autres ! Pour le reste, ceci est une journée ordinaire.
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