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Tuesday, January 14, 2014

Javier Peña : « La Reconquista est un mythe »

Javier Peña : « La Reconquista est un mythe »

El triumfo de la Santa faz
Le professeur d’Histoire Médiévale Javier Peña déconstruit à l’aide de ses recherches l’idée qu’il y ait eu une « Reconquête » de l’Espagne : « Jamais ce terme n’est employé, ni lors du Moyen-Age, ni à l’époque moderne, mais on le voit apparaître seulement à partir du XIXème siècle ».

Ce fut Javier Peña qui fut le premier surpris par le résultat de son enquête sur le mythe de la Reconquête, sujet choisi par l’historien pour son entrée à l’Académie Fernan Gonzales.

« A mon plus grand étonnement, et je suppose à celui de beaucoup de nos lecteurs, ce mythe, contrairement aux autres que j’ai étudiés, qui trouvaient tous leur origine et leur apogée au Moyen-âge, n’apparut pas à cette période. Pas plus qu’à l’époque moderne. On ne parlait alors jamais de Reconquête. On ne connaissait même pas ce terme. Il fut utilisé pour la première fois dans les chroniques espagnoles autour de l’an 1800. »
Le professeur d’Histoire Médiévale de l’Université de Burgos, l’un des noms les plus prestigieux du milieu universitaire espagnol, ne démystifie rien au cours de son travail d’entrée à l’Académie, intitulé Castille médiévale. Nuance subtile [Castilla Medieval. Perfiles miticos]. « Je fais la distinction entre mythes et réalité historique », souligne-t-il. Lors de l’événement, qui se célébrera à la fin de ce mois de novembre [l’article est paru le 02 novembre 2013], Peña fera un discours résumant son étude, bien plus large elle, qui sera publiée sous la forme d’un livre et qui comptera deux-cent pages. Une œuvre qui relatera de manière abrégée l’ensemble de tous ses travaux sur les mythes de la Castille du Moyen-Age, mais dont l’aspect le plus sulfureux sera sans doute la déconstruction du mythe de la Reconquête, car c’est cette déconstruction-là qui est la plus récente et qui est en passe d’annoncer une véritable révolution scientifique.

« Ce mot finira par donner, avec l’aide des romantiques et des libéraux, l’identification qui se fera par la suite entre les notions de Reconquête et de Récupération de l’union nationale, l’idée de nation, l’idée de patrie, qui est la racine du nouveau modèle d’Etat qui se développe au XIXème siècle », explique Peña. Comme à cette époque l’idée de nation est un concept sans grande résonance, « on le fait commencer au Moyen-Age. Et donc de cette manière, le mot « Reconquête » apporte avec lui tout le bagage qu’il ne tenait pas au Moyen-Age, le projette en avant et on le considère en vigueur depuis cette époque, s’utilisant depuis lors pour défendre l’idée d’une nation et d’un Etat Espagnols. Sanchez Abornoz lui-même, qui fut un médiéviste reconnu, assura que don Pelayo[1] ne commença pas à lutter en Covadonga[2] pour restaurer le royaume de los Godos, mais qu’il commença à fonder la nation espagnole. Prétendre cela est une absurdité. Je ne peux même pas comprendre comment l’on peut même le dire. Il n’existait pas à cette époque de notion d’Espagne comme unité politique, et encore moins comme une notion de patrie », souligne l’historien de Burgos.

La Reconquête, ajoute Peña, est un concept nationaliste. Il est utilisé, par exemple, par Franco pour parler d’une Espagne une, catholique, et tout le reste. « Franco utilisa les symboles médiévaux pour se donner une consistance. Il s’identifia avec Fernan Gonzales[3], et avec le Cid bien sûr… Par la suite, il utilisa le mot « Croisade », en chœur avec tous les évêques d’Espagne, pour donner un aspect spirituel à la Guerre Civile, qui n’avait rien à voir avec les Croisades, et qu’en outre les Papes ne reconnurent jamais. Il ira même jusqu’à dire dans un de ses discours qu’il donna à Burgos en parlant de sa Croisade et de sa Reconquête, qu’elles ne furent jamais accomplies par les Rois Catholiques, mais que ce sera lui qui les accomplira ». L’universitaire affirme que l’utilisation du terme « Reconquête » a dû être acceptée par l’université dans les années 60, et qu’il fut adopté « comme un phénomène normal ».

Peña ajoute qu’il ne prétend pas qu’il n’y ait pas eu une récupération des territoires lors du Moyen-Age, mais que « ce qu’il n’y avait pas, c’était l’idée de nation. Et cette idée est inséparable de l’idée de Reconquête, car elle naquit avec cette dernière. C’est pour cela que je propose que l’on cesse d’utiliser un vocabulaire qui n’a rien à voir avec la réalité historique soi-disant affectée par celui-ci. Les chroniques médiévales parlent de conquêtes, et non de reconquête. »

Mythe de la nation espagnole

Le chapitre que dédie Peña à ces révélations, baptisé « La Reconquête : le mythe de la nation espagnole », est incontournable. Il assure que c’est un travail qui l’a laissé « épuisé ». Par son analyse sensée et contrastée, il conclut en lançant un vibrant appel à abjurer à jamais le terme « Reconquête » :

« Si lors du Moyen-Age personne ne pensait en termes de « Reconquête », et que ce terme naquit bien plus tard avec un contenu totalement inconnu à la péninsule médiévale, peut être que l’on conviendra – pour aller plus loin que les toujours salutaires révisions critique sur sa signification – qu’il faut l’éliminer définitivement de notre lexique le plus technique, et le maintenir, dans tous les cas, comme ce qu’il fut toujours en réalité : un mythe utilisé pour expliquer les différents présents contemporains, sans aucune utilité pour analyser le passé médiéval. Il est temps que nous le confinions à la place qui lui correspond : à côté des fossiles culturelles, où reposent les mythes usés du souvenir de leurs plus grandes, ou plus inquiétantes, utilisations. »
Source : Diario de Burgos, 02 novembre 2013.
Traduit de l’espagnol par I.M., pour Etat d’Exception.

[1] NdT : Pélage le Conquérant, premier roi des Asturies entre 718 et 737.
[2] NdT : du nom de la bataille de Covadonga, qui oppose en 722 le califat omeyyade au royaume des Asturies.
[3] NdT : Ferdinand Gonzalez de Castille, comte de Castille de 920 à 970.

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