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Friday, April 02, 2010

Entre les ailes d'un taureau géant


En ces journées commémoratives de la guerre d'agression contre l'Irak, nous reproduisons cet article de l'artiste irakien Naseer Shamma, pour rappeler au monde que le génocide culturel continue en Irak autant que le massacre de la population.


Un artiste irakien dénonce les nouveaux barbares

Entre les ailes d’un taureau géant


par Naseer Shamma

Personne n’aurait pu penser que la guerre contre l’Iraq serait une agression destructrice qui s’attaquerait en premier à l’homme et continuerait par l’éradication des racines de sa civilisation, de son patrimoine, de sa culture et de son identité et finirait par détruire son présent et son avenir.

Il est clair maintenant que le pétrole ne fut pas le seul but de cette guerre, dès lors que, ses sources immédiatement maîtrisées, la machine de destruction a aussitôt commencé à dilapider les origines de l’homme qui a créé, innové, découvert et enseigné. Ils ont ainsi démoli son présent et son histoire par la rapine et le feu.

Jamais à travers l’histoire, une agression, une guerre ou une occupation d’une ville ou d’un pays n’ont donné lieu à une destruction aussi systématique que ce qui s’est passé en Iraq, terre qui a vu naître une multitude de civilisations et est connue pour être le premier pays à avoir donné naissance à l’alphabet, aux sciences, à la culture, à la poésie, à l’astronomie, à la médecine, aux mathématiques, à la musique et bien d’autres choses, dont notamment la physique, la chimie et l’architecture, et d’avoir mis tout cela à la disposition de tout un chacun.

Mais il semble que l’on ne doive pas clamer notre fierté de notre histoire, au motif que l’Amérique, fondée sur un patchwork hybride, sans racines véritables et dont l’histoire, remontant tout juste à 5 siècles, souvent sans grandeur parce que bâtie sur les crânes des Peaux-rouges, traîne un complexe à ce niveau. Peut-on se prévaloir d’un passé fait de dépossession des Amérindiens, de leur sang versé, de leurs femmes… ?

Quelques jours après le cessez-le-feu et alors que le sang des Iraquiens n’avait pas encore séché et continuait même à être versé, j’ai décidé de donner mon premier concert et j’ai choisi de le faire dans la grande salle assyrienne du Musée iraquien. Le concert avait pour titre : « Je viens du passé et je vais vers l’avenir ». Le titre n’était pas seulement un slogan. Je voulais dire simplement que le présent n’est pas toujours ce que nous souhaitons. Il en fut de même quand j’ai choisi de me placer entre deux taureaux ailés géants, chacun d’eux d’une seule pièce et pesant 37 tonnes de granit. J’avais derrière moi la statue du dieu assyrien Nabou, de plus de 12 mètres de haut et, à ma droite et à ma gauche des bas-reliefs géants en granit, témoins représentatifs de la grande civilisation assyrienne.

J’avais rappelé au public ce jour-là que « nous étions les descendants de ces hôtes illustres qui nous accueillaient et qui avaient produit ces magnifiques oeuvres d’art qui avaient devancé Michel-Ange dans l’usage du mouvement dans la sculpture et la très grande précision dans les détails ». Je m’étais adressé au public pour lui expliquer que « c’est par là que nous devrions commencer, sans jeter le moindre regard aux ruines laissées par la guerre ». J’étais un peu celui qui essayait de se mettre en confiance à propos de son patrimoine qu’il aime éperdument et de son avenir à la construction duquel il veut participer pleinement. Je voulais en même temps rappeler à notre peuple, encerclé par tous les États du monde, les frères, les amis et les ennemis, victime d’une guerre d’un genre inédit et tourmenté par le doute sur son identité, son histoire, son arabité et son appartenance, qu’il était l’un des plus vieux peuples de la terre. Et c’est toute l’importance de ce concert donné juste quelques jours après le cessez-le-feu, pour ranimer la vie culturelle à Bagdad.

Il ne m’est jamais venu à l’esprit que ce lieu qui abritait entre ses murs l’histoire initerrompue de l’évolution de l’humanité dans tous les domaines de la vie, puisse être détruit et faire l’objet d’un pillage systématique, planifié à l’avance avec minutie. En effet, les chars usaméricains encerclèrent le Musée national iraquien et tirèrent un premier obus sur la porte. Une fois cette dernière détruite, ils se mirent à déménager les oeuvres artistiques des civilisations ouritique, sumérienne, assyrienne, akkadienne, babylonienne, hadhar puis islamique vers des lieux inconnus. Nous ne serons pas étonnés qu’on les découvre un jour quelque part aux USA. Puis une fois leur forfait accompli, ils ont permis à des individus aux visages étrangers et dont nous ne savions rien, pas même le pays auxquels ils appartiennent, de finir leur besogne en entreprenant de briser et de détruire tous les objets en verre, en argile et en faïence dont aucun soldat usaméricain ne peut connaître la valeur. Tout cela pour faire croire à un état de désordre et de pillage créé par les Iraquiens eux-mêmes.

Il est à rappeler à ce niveau que la majorité des Iraquiens sont des gens éduqués. Les écoliers, dont je fus, étaient invités à des visites guidées aux musées, aux ruines et à tous les sites archéologiques. Nos rêves avaient un début mais jamais de fin, tant nos guides nous racontaient des choses sur les souverains et les civilisations qui se développèrent en Mésopotamie. Peut-on admettre dans ces conditions qu’un Iraquien « normal » puisse détruire sa propre civilisation, démolir son histoire et piller ses œuvres ?

A propos de la Maison des archives, de la bibliothèque des Wakfs, de la Bibliothèque nationale et du Centre des arts, tous lieux fréquentés en permanence par les gens, il est important de rappeler que ce sont les Iraquiens qui y ont déposé leurs legs et leurs dons afin qu’ils soient protégés et mis au service de tous. Nous étions informés régulièrement des dons de manuscrits rares de tel ou tel grand intellectuel, ce qui a permis à la longue de constituer un fonds de manuscrits d’une rare richesse. Il y avait des manuscrits du saint Coran, écrits de la main de Ibn Al Bawab, d’autres de Yakout, Ham Allahi Al Amassi, Tabrizi, Ibn Makla, en plus d’un exemplaire fort rarissime, écrit, croit-on, de la main de l’imam Ali Ibn Abi Taleb. Ces manuscrits renfermaient les plus belles calligraphies arabes avec ses styles divers et ses riches motifs artistiques.

Il y avait en plus tous les livres scientifiques, de médecine, d’astronomie et d’autres domaines de la connaissance humaine, écrits des mains de leurs auteurs, tels Al Kindi, Faraby, Armawi, Ibn Sina et tous ceux dont les noms nous sont parvenus des grandes civilisations antérieures à l’Islam.

Certains des tableaux modernes des artistes d’avant-garde que j’ai moi-même exposés au Centre des arts de l’Opéra du Caire au début de 2003, y furent très bien accueillis par les critiques égyptiens. Dois-je reconnaître aujourd’hui que ces tableaux et autres œuvres splendides, signées de Jawad Sélim, Faek hHssan, Chaker Hassan Al Saïd, Mohamed Ghani, Hikmet et Sâadi Kâabi, Dhia Al Azzawi, Rafe’h Nasseri, Nouri Arraoui, Mohamed Mahr Eddine, A’La Bachir, Ali Taleb et Salem Dabbagh ainsi que les œuvres des jeunes débutants, ont été la proie du feu ?

Mais Hulago (Hulago Khan, chef mongol, petit-fils de gengis Khan, qui conquit Bagdad en 1258 et passa toute son élite au fil d el'épée, NDT) n’avait rien fait de tel. À moins que ce soit une réalisation de la prédiction du prophète Daniel qui avait préconisé la création de l’État d’Israël et lancé sa malédiction sur le peuple babylonien ?

Le Musée national iraquien après le passage des nouveaux barbares

Le déluge de Gilgamesh

Quand j’avais prononcé ces mots, je savais pertinemment que le peuple qui traîne une longue et riche histoire est capable de construire un avenir radieux et qu’il demeurera fidèle à ses racines, contrairement à celui qui naît à ras de l’eau, sans racines.

C’est cette idée qui a prédominé dans la stratégie de cette guerre contre l’Iraq, qui pourrait porter le symbole de « guerre- pétrole- histoire ». Une guerre contre le passé qu’est l’histoire, contre le présent, représenté par l’homme et sa cité, et contre l’avenir dans lequel le pétrole est un élément déterminant mais pas exclusif.

Au fait Sargon l’Akkadien (2390 Av.J .C), Zimri Lim Almari (1850 Av. J.C), Adad Nirari l’Assyrien (1220 Av.J.C) et Nabuchodonosor I, les rois conquérants qui ont fondé, entre le Tigre et l’Euphrate, des royaumes et des empires ayant dirigé les contrées dans les quatre directions, savaient-ils ce qu’il advint de leur terre et de leurs enfants ? Est-ce bien le déluge dont parle Gilgamesh dans son épopée qui se passe présentement ?

Prière babylonienne ?

Lorsque j’ai joué pour la première fois à Paris au cours de l’année 1994, le morceau intitulé « prière babylonienne », j’avais le sentiment que je voyais défiler 6.000 ans d’histoire de la culture et de la musique. Le morceau choisi relatait en effet un rite entre le roi babylonien et ses divinités ce qui m’enivrait de fierté tant j’étais heureux que mes ancêtres aient donné à la musique cette place de choix.. Au cours de la même soirée, j’avais présenté aussi un morceau intitulé « de l’Assyrie à Séville ». Je jouais du luth avec mes cinq doigts et sans l’intermédiaire de la plume. J’avais appris cette technique des motifs sur des sculptures assyriennes représentant des artistes jouant le luth avec leurs cinq doigts, et il m’a fallu des mois d’exercice pour maîtriser cette technique venuedu fond des âges et relier deux époques lointaines. Mais voilà que les sculptures en question sont détruites et que les manuscrits d’Al Kindi dans lesquels j’ai appris ma première symphonie, sont livrés au feu à la Bibliothèque des manuscrits.

Je suis le descendant de grandes civilisations et d’une nation qui a bâti sa grandeur sur la sculpture de la pierre. Mais voilà que la pierre, témoin principal de notre de notre passé, est humiliée et brisée telle une biscotte. En fait c’est toute notre histoire qui est remise en question. Je ne sais comment nos enfants apprendront demain l’histoire de leur pays, peut-être juste en la lisant sur le papier ?

J’ai le sentiment que ma peine et ma douleur dépassent de loin ce que la démocratie pourra me donner et que « la plante de l’éternité » que portait Gilgamesh a été détruite par ses racines. Alors que puis-je face à cette situation sauf exprimer ma douleur et me lamenter sur l’effort de ces savants et de ces créateurs qui ont révélé le caractère unique des civilisations de la Mésopotamie durant 9 millénaires et que les barbares des temps modernes ont dilapidées.

Original

Nasser Shamma est le joueur de luth le plus célèbre du monde. Il est né à Al Kut, dans le sud de l'Iraq, en 1963. Il enseigne son art à la Maison du Luth Arabe (Beit Al Oud Al Arabi), qu'il a fondée au Caire en 1998. Visiter son site personnel.

Traduit de l'arabe par Ahmed Manaï

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