Mohammed Lamine Debaghine : « l’Algérie est une Nation »
présenté par Youssef GirardNé 24 janvier 1917 à Hussein-Dey dans la banlieue d’Alger, Mohammed Lamine Debaghine était issu d’une famille modeste. Son père tenait un restaurant à Alger. Lettré en arabe, après des études secondaires, il obtient une bourse lui permettant de s’inscrire en faculté de médecine. A la faculté d’Alger, il devint l’un des organisateurs de l’Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains [AEMNA] et adhéra au Parti du Peuple Algérien [PPA] en 1939.
Après la dissolution du PPA par les autorités françaises, en septembre 1939, et l’incarcération de ses principaux dirigeants, Mohammed Lamine Debaghine prit la tête de l’organisation clandestine du Parti. Fidèle aux positions de Messali Hadj, il refusa de s’engager pour la France tout en condamnant fermement tout rapprochement avec les régimes fascistes d’Allemagne ou d’Italie. Dans le même temps, il s’efforça de réorganiser le PPA clandestin. Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, Mohammed Lamine Debaghine participa à la rédaction du Manifeste du peuple algérien et à la restructuration du mouvement nationaliste révolutionnaire. Au printemps 1943, il impulsa un mouvement de lutte contre la conscription à Blida. Arrêté avec plusieurs militants, dont Benyoucef Ben Khedda, il fut supplicié au cours d’interrogatoires où, pour la première fois, la torture fut utilisée de manière « méthodique » contre des militants nationalistes algériens. Après une forte mobilisation, il fut libéré en décembre 1943 avec l’ensemble des « insoumis de Blida ».
Recherché en tant que cadre du PPA au moment des massacres de mai 1945, Mohammed Lamine Debaghine réussit à échapper à la police. Après l’amnistie de mars 1946, il reprit son activité publique bien que le PPA resta une organisation clandestine interdite par les autorités coloniales. De retour en Algérie, Messali Hadj, qui avait été déporté à Brazzaville au printemps 1945, réussit à imposer le principe de participation aux élections législatives devant se dérouler le 10 novembre 1946 alors que la majorité des membres de la direction du PPA y était opposée. Adversaire de cette participation, Mohammed Lamine Debaghine garda le silence au cours des débats et, par discipline de parti, se présenta dans le département de Constantine. Ne pouvant pas être candidat sous l’étiquette du PPA qui restait interdit par l’administration coloniale, les militants nationalistes créèrent des listes intitulées « pour le Triomphe des Libertés Démocratiques ». Mohammed Lamine Debaghine fut élu député de la deuxième circonscription de Constantine.
Le 20 août 1947, les députés du MTLD, qui contestaient le droit d’une assemblée française à légiférer sur des questions propres à l'avenir de l’Algérie intervinrent à la tribune de l’Assemblée Nationale française pour dénoncer la domination coloniale. L'intervention de Mohammed Lamine Debaghine était dirigée contre l’idéologie coloniale qui contestait l’existence d'une nation algérienne. Elle était aussi dirigée contre l'idéologie coloniale « peinte en rouge » qui affirmait, selon la terminologie du secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, que l'Algérie était une « nation en formation » devant naitre du « mélange de vingt races ». Contre toutes ces théories coloniales, Mohammed Lamine Debaghine affirma la réalité de la nation algérienne en se fondant sur son histoire. De cette existence de la nation algérienne, il déduisait son droit à l’autodétermination, et donc à la libération et à l'indépendance. Cet argumentaire était au centre du discours politique du mouvement nationaliste algérien.
Prenant de plus en plus d’importance au sein du PPA-MTLD, Mohammed Lamine Debaghine fut considéré par Messali Hadj comme son principal concurrent car il bénéficiait du soutien des jeunes « révolutionnaires » du Parti. De plus, Mohammed Lamine Debaghine contestait la ligne politique de la direction jugée trop « réformiste ». Finalement, il démissionna du PPA-MTLD avant que le Comité Central ne prononçât son exclusion le 1ier novembre 1949. Cette « démission-exclusion » déstabilisa le Parti comme l’expliquait M’hamed Yousfi : « sensible, Debaghine souffrait dans son fort intérieur du désaccord fondamental qui l’éloignait de Messali, de Lahouel Hocine et de Cherchalli. Il déplorait même, mais sans concession. Ses conceptions globales de la lutte le rendaient inflexible. Pour beaucoup de ceux qui avaient pour lui un respect affectueux, son élimination parut une perte sèche au niveau de l’élite révolutionnaire et du militantisme. Jeune activiste, rompu déjà aux chemins de la clandestinité, dès 1940, son intelligence politique et sa ferveur à défendre la cause du peuple, le hissaient au rang de grand dirigeant du PPA. Nationaliste révolutionnaire aux principes inflexibles, ajustant sa vie à ses idées, humble, le Parti était pour lui sa raison d’être, une famille, son tout »[1].
Après sa « démission-exclusion », Mohammed Lamine Debaghine garda des contacts au sein du PPA-MTLD mais ne poursuivit pas son activité militante. A la veille du 1ier novembre 1954, il déclina l’offre des fondateurs du FLN de prendre la tête du Front. Arrêté le 24 juin 1955, il passa six mois en camp d’internement et, à sa sortie, il reprit contact avec le FLN. Par la suite, il quitta l’Algérie pour rejoindre la délégation algérienne au Caire. En septembre 1958, il devint le premier ministre des affaires étrangères du GPRA mais opposé à Ferhat Abbas et à Abdelhafid Boussouf, il quitta les devants de la scène politique algérienne à la fin de l’année 1959.
Après l’indépendance, Mohammed Lamine Debaghine se retira définitivement de la vie politique. Il ouvrit un cabinet de médecine à El Eulma. Mohammed Lamine Debaghine est décédé le 23 janvier 2003 à Alger.
Youssef Girard
Intervention du Dr. Mohammed Lamine Debaghine*
Mesdames, Messieurs,
Mes collègues du groupe pour le Triomphe des Libertés Démocratiques en Algérie qui m’ont précédés à cette tribune ont amplement démontré, s’il était encore besoin de le faire, que la colonisation a été pour notre malheureux pays une véritable catastrophe, et ceci à tous les points de vue. Mais ce serait une très grande erreur de croire, par exemple, que le désir d’indépendance du peuple algérien provient uniquement du fait que la colonisation n’ait pas réussi au sens matériel du mot. Cela signifierait, par exemple que si la colonisation s’était traduite, dans le domaine matériel, par une amélioration du standing de vie de la population musulmane, cela nous aurait peut-être amenés à concevoir de bonne grâce la perte de notre personnalité, de notre souveraineté, de notre culture. Il n’en est rien. Quand bien même la France aurait réalisé des merveilles dans ce qu’elle appelle sa colonie d’Algérie, quand bien même toutes les faussetés qu’on colporte à l’avantage de la colonisation seraient vraies, quand bien même le peuple algérien, de misérable qu’il était à ce qu’on nous assure, sous sa propre loi, serait devenu, par la vertu des baïonnettes françaises, le peuple le plus sain, le plus cultivé et le plus prospère…
M. le Ministre de l’intérieur : N’exagérez pas !
M. Lamine Debaghine : Je suis ici pour dire la vérité et je continuerai. Mes paroles ne dépassent pas ma pensée et je répète ce que je disais.
M. Hutin-Desgrées : Systématiquement, on fait le procès de la France. Nous ne l’acceptons pas, au nom du sang versé pour la justice et la liberté.
M. Lamine Debaghine : Ce ne sont pas les interruptions qui me feront taire. Ce que j’ai dit, je l’ai dit devant le juge d’instruction, en 1943, et je le dirai encore.
N’oubliez pas, Mesdames et Messieurs, l’Algérie est une Nation. Elle a été une Nation et a été souveraine. Seule l’agression de 1830 lui a fait perdre sa souveraineté. On a trop tendance à l’oublier. Par exemple, l’affirmation répétée à tous les instants, aussi bien par le gouvernement que par les membres même de cette Assemblée, que l’Algérie constitue, tantôt une partie intégrante de la France, tantôt trois départements français, tantôt comme on vient de le dire une collectivité territoriale de la République française, est une affirmation unilatérale, dénuée de tout fondement.
De plus, les traités conclus entre l’État algérien et des nations telles que l’Angleterre, les États-Unis et la France elle-même prouvent que l’Algérie était considérée comme une nation souveraine. Bien mieux, non seulement la France a échangé des instruments diplomatiques qui ne laissent aucun doute sur la reconnaissance de la souveraineté de l’Algérie à cette époque, mais encore – et cela on ne le sait pas suffisamment – il y a eu au XVIème siècle une véritable alliance entre la France et l’Algérie. Et une alliance ne peut se conclure qu’entre deux États souverains et non entre un vassal et un suzerain.
D’autre part, l’Algérie était à ce point considérée comme un État souverain par la France elle-même, qu’en 1793, pendant la guerre que celle-ci soutenait contre l’Europe entière, aussi bien pendant la Révolution que pendant le Consulat, la France jugea que, seule la nation algérienne, qui était à cette époque souveraine, pouvait la ravitailler en blé, en chanvre pour les cordages de ses navires, en chevaux et même lui prêter gracieusement de l’argent. Cela s’est produit en 1797.
Les sommes prêtées par l’État algérien s’élevaient à plusieurs millions de francs-or. Les considérations dont je viens de faire état ne peuvent laisser aucun doute quant à la reconnaissance de la souveraineté algérienne par la France.
Depuis, il est vrai, il y a eu 1830. Le peuple algérien a lutté. Plus de deux millions de ses enfants sont tombés entre 1830 et 1857 dans la guerre de l’indépendance.
Si la loi du nombre et le sort de la guerre lui ont été contraires, cela prouverait-il, par hasard, que l’Algérie ait cessé d’avoir droit à l’indépendance ? Cela prouve-t-il surtout que la France ait le droit de dire que l’Algérie est française ? De quel droit se réclame-t-on pour déclarer que l’Algérie est française ? Serait-ce le droit du plus fort ? Serait-ce le droit de la conquête ? Le Tchécoslovaquie ou la Pologne, par exemple, conquises par les armes d’Hitler, ont-elles été considérées comme allemandes par vous, Mesdames, Messieurs, pendant les années terribles de la dernière guerre ?
Dans des considérations de cette sorte, il ne peut y avoir diverses interprétations pour un même fait. La Tchécoslovaquie a perdu sa souveraineté du fait d’une agression impérialiste. Elle a conservé son droit à l’indépendance et, aujourd’hui, elle a fini par devenir libre.
De même l’Algérie, malgré son héroïque lutte, a perdu sa souveraineté dans une guerre qui fut malheureuse. Nous ne pouvons admettre que ce sera là le terme de sa souveraineté. Elle reconquerra sa liberté, elle redeviendra elle-même, nous en sommes persuadés, car il n’y a pas d’exemples au monde de Pologne qui ne finissent pas par ressusciter.
L’Algérie – c’est notre avis et l’avis des historiens éminents qui se sont penchés sur son cas – n’a jamais été française. Tout le prouve, l’histoire comme la géographie.
Un siècle d’oppression ne lui a pas fait perdre sa personnalité, ni sa farouche détermination de redevenir elle-même. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, comme hier, il ne peut s’agir pour nous, Algériens, d’accepter une solution, quelle qu’elle soit, qui ne postule pas avant toute chose le respect de la personnalité algérienne, le développement de notre culture arabe et surtout la garantie absolue du retour à notre souveraineté nationale.
Vu sous cet angle, le problème algérien ne peut comporter que des solutions de droit, de justice et de démocratie. J’emploie le mot « droit », le mot « justice », le mot « démocratie ». Et je suis persuadé que ces mots n’ont pas tout à fait la même signification quand ils sont prononcés par quelqu’un qui a besoin du droit et de la démocratie ou, au contraire, quand ils sont prononcés par ceux pour qui ils ne sont qu’un paravent à d’autres idées moins avouables.
Veut-on, par exemple, régler le problème algérien sans le droit ? Pourtant, ce que je vais dire me parait tout à fait naturel et je suis certain que mes paroles feront sursauter une partie de l’Assemblée. En 1830, il y a eu agression impérialiste par désir de lucre et de conquête. L’histoire du blé de Bacri et Busnach le prouve amplement. Le plus fort s’est jeté sur le plus faible et il en est résulté l’état de fait que nous étudions aujourd’hui.
Sa solution au point de vue du droit des gens, au point de vue du droit strict, au point de vue du droit international, ne peut être autre chose que l’évacuation de l’Algérie par les troupes françaises, la restitution des terres expropriées à leur légitimes propriétaires, la restitution des médersas à la culture arabe, la restitution des mosquées à la religion musulmane. Veut-on une solution qui soit basée sur la justice ?
Le problème algérien a été d’abord une guerre, puis une lutte et actuellement il prend l’aspect d’un véritable procès entre l’Algérie et la France. Et dans ce procès, les Français se réservent le droit d’être juges.
Or, il est évident qu’en bonne justice, on ne saurait être à la fois juge et partie. D’où la nécessité, pour un bon règlement de la question algérienne – si vous le voulez bien, Mesdames et Messieurs – de porter le différend devant des juges qui ne soient ni algériens, ni français.
Là encore, la solution est nette. Le peuple algérien a fait suffisamment de sacrifices, je crois, aux cours de deux dernières guerres mondiales pour la cause de la démocratie. Il a le droit de réclamer pour lui l’institution de cette démocratie qu’il a contribué à instaurer dans le monde.
Qu’on lui donne la parole, que l’on permette l’élection d’une Assemblée constituante souveraine élue au suffrage universel, comme cela a été accordé aux Indes par l’Angleterre. Et l’on verra ce que pense le peuple algérien sur la forme de régime qui sera appelé à le régir et sur la nature des relations qu’il sera amené à avoir avec la France ou tout autre pays.
Et si le peuple algérien se prononce pour l’indépendance, il faudra bien qu’on la lui accorde, si on est démocrate.
Les solutions que nous venons de voir sont nettes et simples et pourtant il est facile de prévoir qu’aucune d’elles ne sera retenue pour la bonne raison que ce sont là des solutions de justice, de droit et de démocratie. Et c’est précisément parce qu’elles sont justes et équitables qu’on ne voudra même pas en entendre parler, tant l’esprit colonialiste étroit, rétrograde et essentiellement injuste est encore vivace. Et pourtant, ce que nous demandons n’est pas une faveur, c’est un droit. C’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que nous réclamons, nous Algériens, et ce droit, nous avons conscience de l’avoir chèrement acquis par nos sacrifices au cours des deux guerres mondiales durant lesquelles nous avons contribué à préserver de l’esclavage des peuples actuellement libres, mais qui peut être ne l’étaient plus après 1940.
Si c’est trop demander de la reconnaissance en fonction des services rendus, que du moins on respecte les traités et les conventions relatifs aux relations franco-algériennes que la France a signés en 1830.
Je ne veux parler que pour la mémoire de la convention du 5 juillet 1830, par laquelle, sur les honneurs de la France, le maréchal de Bourmont – qui n’était peut-être que général alors – s’engageait textuellement à respecter la liberté des habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie.
Sitôt les troupes françaises entrées à Alger, la convention fut jugée lettre morte, les habitants furent traqués, chassés – c’est de l’histoire – et déportés en masse. Des tribus entières furent exterminées ou enfumées dans les grottes. Les biens habous furent séquestrés, les meilleures terres expropriées.
Je pourrais vous parler longtemps de ces choses, vous les trouverez dans les mémoires du colonel de Saint Arnaud.
La religion musulmane fut colonisée par des fonctionnaires non musulmans, les plus belles mosquées abattues ou transformées en cathédrales.
Quand au commerce et à l’industrie des Algériens, la faillite retentissante de l’économie musulmane et le paupérisme de l’immense prolétariat créé par la colonisation est là pour attester de quelle manière cette industrie et ce commerce ont été respectés. Un autre document, de portée internationale, a été également signé par la France : c’est la Charte des Nations Unies. Dans cette Charte, à l’article 73 concernant les États non autonomes, la France s’est engagée solennellement à reconnaître le principe de la primauté des intérêts des populations autochtones. Elle a accepté comme une « mission sacrée » l’obligation de favoriser la prospérité des autochtones, de respecter la culture des peuples non autonomes et d’assurer leur progrès politique et social, ainsi que le développement de leur instruction.
Elle s’est engagée, en outre, à les traiter avec équité, à les protéger contre tout abus, à leur permettre de s’administrer eux-mêmes et de tenir compte de leurs aspirations politiques et à les aider dans le développement progressif de leurs aspirations politiques et à les aider dans le développement progressif de leurs institutions politiques. On voit qu’il y a loin entre ces engagements internationaux et la politique suivie par la France en Algérie jusqu’à ce jour. Il est d’ailleurs remarquable – ce n’est peut-être qu’une coïncidence – qu’au jour même où s’élaborait cette Charte à San Francisco, la France prenait pour ainsi dire les devants en Algérie et marquait les rapports qu’elle comptait dorénavant avoir avec les Algériens par l’effroyable répression de mai 1945, au cours de laquelle tombèrent plus de 40.000 Musulmans algériens. C’était sans doute cela que traiter le peuple algérien avec équité et le protéger des abus !
De même, c’était sans doute pour respecter sa culture et développer son instruction que les medersas furent fermées et que la langue arabe, langue maternelle des Algériens, fut proscrite et considérée comme langue étrangère.
De même, c’était sans doute parce qu’on a considéré comme une mission sacrée de favoriser la prospérité des Algériens que l’on a construit de toutes pièces une économie algérienne au profit exclusif de la colonisation et des éléments européens qui la représentent, au détriment absolu de la population musulmane réduite à l’état d’immense prolétariat asservi à la féodalité agraire des colons. Je ne veux pas parler du plan Monnet. Je ne le connais pas. Mais je suppose qu’il a été façonné pour que l’économie algérienne soit complémentaire de l’économie française et cela a été décidé sans demander notre avis. C’est sans doute pour tenir compte des aspirations politiques du peuple algérien que l’on maintient dans l’illégalité un parti politique qui, qu’on le veuille ou non, représente l’opinion de la majorité des Algériens et qu’on interdit aux représentant légaux du peuple le droit de parole dans leur propre pays.
Enfin, il est à présumer que c’est par soucis de développer la capacité du peuple algérien à s’administrer lui-même et de l’aider dans le développement progressif de ses libres institutions politiques, et, surtout pour tenir compte de la primauté des intérêts des autochtones dans tout rapport entre la France et l’Algérie, qu’on veut aujourd’hui imposer au peuple algérien, sans même le consulter, un statut qui ne vise rien moins qu’à perpétuer l’asservissement économique du peuple algérien, l'anéantissement de sa culture et l'effacement progressif de sa personnalité. Le peuple algérien ne pourra pas accepter cela. Il exigera que la France respecte les traités signés, et que la Charte des Nations Unies ne soit pas un vain mot. La France a le devoir de laisser instaurer la démocratie en Algérie. L’Algérie a le droit de disposer d’elle-même. Ce droit, elle l’a acquis sur le champ de bataille ; elle le revendique aujourd’hui.
C’est pourquoi elle s’élève contre tout statut que, de force, on voudrait lui imposer. Le peuple algérien considère qu’il a le droit et le devoir de se déterminer lui-même et de choisir les institutions politiques qui doivent le régir.
Reconnaître, en effet, à un gouvernement quel qu’il soit, fût-il français, le droit de doter l’Algérie d’un statut, c’est à proprement parler reconnaître l’état de fait créé par la colonisation en Algérie, contre le droit des gens et les intérêts sacrés du peuple algérien. Ce serait, par là-même, abdiquer par notre propre volonté la souveraineté nationale de notre peuple. Cela ne peut pas être.
Le peuple algérien nous a mandatés, nous élus nationalistes algériens, pour proclamer au peuple français et au monde entier que l’Algérie ne reconnaît pas l’état de fait crée par la conquête de 1830, que l’Algérie n’est pas française, qu’elle ne l’a jamais été et qu’elle ne reconnaît pas à la France le droit de lui donner un statut quel qu’il soit et, qu’au surplus, aucune solution ne peut être acceptée par le peuple algérien si elle n’implique pas au premier chef la garantie absolue d’un retour à sa souveraineté nationale.
C’est pourquoi nous réclamons l’élection d’une Assemblé constituante algérienne, souveraine, élus au suffrage universel, sans distinction de race, ni de religion.
C’est la seule solution qui, en postulant le retour à la souveraineté nationale de notre peuple, constitue par là-même la solution juste et démocratique du problème algérien.
Mohammed Lamine Debaghine
* in. Ben Khedda Benyoucef, Les origines du premier novembre 1954, Ed. CNERMR, Alger, 2004, pages 338-344
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