Walid Hasni: Les banques islamiques, filière halal de la finance mondiale
Les banques islamiques, filière halal de la finance mondiale
Walid Hasni*
Paris: 13/02/2014
En économie, ce que l’on pense a priori, intuitivement, est parfois voire même souvent faux. Car on transpose mécaniquement les actions individuelles sur les actions collectives. Mon dernier article sur les banques islamiques a suscité beaucoup de réactions et de polémiques, certains osant même me taxer d’être à la botte des lobbys financiers et bancaires conventionnels, oubliant au passage que les fameuses banques islamiques sont des filiales très rentables de ce même lobby bancaire.
Ce que je reproche aux banques islamiques, c’est d’user à 90 % des mêmes pratiques que les banques conventionnelles et de prétendre en être différentes en s’affabulant du terme "islamique".
Ma critique s’inscrit dans une dénonciation globale du monde capitaliste, notamment le pouvoir immense de la finance, qui se matérialise par le pouvoir de la création monétaire des banques
Comment se financent les banques?
Ouvrez n’importe quel ouvrage d’économie, vous trouverez que la première source de financement des banques est le marché entre les banques. Le principe de ce marché, complètement dématérialisé et uniquement ouvert aux banques, à très court terme, est de permettre aux banques ayant beaucoup de liquidité de prêter leur excédent aux autres banques, moyennant un taux d’intérêt. La deuxième source de financement est la banque centrale qui prête les liquidités moyennant un taux d’intérêt.
La banque islamique est soumise aux mêmes contraintes que les banques conventionnelles. Comment font-elles pour contourner cet interdit?
Prenons l’exemple de la Grande-Bretagne, pays de prédilection des banques islamiques. Au départ, les banques islamiques se sont financées comme si de rien n’était sur le marché interbancaire standard, en s’appuyant sur le LIBOR (London Interbank Offered Rate).
Face au développement important de ses structures, il fallait penser à un autre système qui contourne cette question du LIBOR et qui par conséquent ferait cesser les critiques incessantes dénonçant la "non-islamité" du procédé. Comment prétendre être islamique et se financer sur le marché interbancaire comme toutes les autres banques conventionnelles?
Le nouveau subterfuge s’appelle l’IIBR (Islamic Interbank Benchmark Rate), fixé par le très prestigieux organisme du Thomson Reuters. L’IIBR offre aux banques islamiques un indice de référence capable de remplacer le LIBOR. L’IIBR, semble-t-il, mesure non des taux d’intérêt, mais des gains futurs. Cet indice est calculé quotidiennement à partir des données fournies par 16 banques islamiques et des départements de banques islamiques, filiales de banques conventionnelles, et publiées chaque jour à 11 heures (heure de La Mecque). Même la référence à La Mecque est soigneusement choisie pour insister sur le caractère islamique.
Donc, ce nouveau taux mesure le taux de profit escompté et ne mesure pas des taux d’intérêt.
A partir du moment où le seul risque du prêteur est la faillite de l’emprunteur, et le seul bien échangé est la monnaie, le gain tiré de l’opération s’appelle un taux d’intérêt.
Dans les FAQ (Frequently Asked Questions) de la Thomson Reuters, on trouve ce paragraphe limpide qui nous dispense de tout commentaire
"L’IIBR effacera les doutes et les hésitation des consommateurs de la finance islamique".
Les produits dérivés
Selon l’éthique islamique, il est strictement interdit de faire des opérations à terme, que ce soit à des fins de couverture ou de spéculation.
Les banques islamiques prétendent offrir des produits de couvertures à terme qui respectent l’éthique.
Supposons un courtier de marchandise basé en Tunisie qui achète le 1er janvier pour 3 millions de dollars de viandes à un courtier français. L’opération est payable dans 30 jours. Le courtier tunisien cherchera à se couvrir contre la fluctuation du taux de change euro/dollar.
Chez la banque islamique, l’instrument de couverture sera basé sur les opérations suivantes basées sur deux promesses. Les mots ici ont un sens très précis. Le contrat engage deux personnes, la promesse n’engage que celui qui promet.
Deux promesses contraires deviennent un contrat, donc il faut deux promesses légèrement différentes.
Suivez maintenant l’ingéniosité pour islamiser les produits dérivés.
Première promesse: Le 1er janvier, la banque promet au courtier tunisien d’acheter 300 millions de dinars dans 30 jours et qui respecte la parité 1 euro pour 1 dinar.
Deuxième promesse: Le 1er janvier, le courtier tunisien promet à la banque de vendre 300 millions de dinars dans 30 jours pour un prix de 1,01 dinar pour 1 dollar.
Si le dinar se renforce, la banque fera appel au courtier tunisien pour faire respecter sa promesse. Au contraire, si le dinar s’affaiblit, ce sera au courtier de demander à la banque de respecter sa promesse. Donc, au final, le courtier veut se couvrir contre la baisse du dinar et la banque spécule sur la hausse du dinar!
Je ne vois pas en quoi ce procédé est différent des contrats à terme conventionnels, à partir du moment où l’on sait d’avance que la partie gagnante va demander à la partie perdante d’honorer sa promesse.
En guise de conclusion
"J’ai peur que nous ne devions rendre le monde honnête avant de pouvoir dire honnêtement à nos enfants que l’honnêteté est la meilleure politique", écrivait George Bernard Shaw.
Il ne s’agit pas de faire ici de la morale de bas étage. Dans le monde capitaliste, les entreprises et surtout les banques n’ont qu’une seule religion, celle du profit.
S’affabuler du terme islamique ne fait pas d’une banque une association caritative. Elle demeure une banque qui cherche à faire fructifier son argent sur le dos des damnés de la terre.
Ce que je dénonce, c’est de fourrer la religion dans de sales besognes de profits. Jouer sur les ambigüités des termes sans rien changer sur le fond, voilà ce que je reproche aux banques islamiques.
Enfin, quand les mafieux de Goldman Sachs ou les mafieux du pétrodollar proposent des sukuk (obligations islamiques), permettez- moi de penser que cette histoire est une grande fumisterie.
Tiens, les Sukuk, ça aussi c’est une très grande arnaque. J’aurais du commencé par ça, mais c’est trop tard.
Walid Hasni
Economiste, vice-président de l’Institut Tunisien des Relations Internationales
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