100 000 manifestants au
Bahrein : un printemps chasse l’autre
Par Louis
Denghien, le 12 mars 2012
Nous vous
entretenons régulièrement des événements en cours au Bahreïn. Parce qu’ils ont
une dimension géostratégique évidente, car c’est comme un front intérieur qui
s’ouvre chez l’ »ennemi » pétro-monarchique. Une dimension morale
aussi : la révolte chiite au Bahreïn est une sacrée pierre dans le jardin
des monarchies du Golfe qui dénoncent la répression en Syrie, et ont tout fait
pour pousser Bachar vers la sortie, et le remplacer par des islamistes
sunnites. Or, la révolte populaire menace aujourd’hui le Bahrein, un allié et
un voisin du Qatar et de l’Arabie Séoudite, qui peuvent se trouver très rapidement
menacés, eux aussi, par un nouveau printemps, ou un été, arabe (voir notre
article « Et pendant ce temps-là au Bahrein, mis en ligne le 17 février).
Contestation
d’une ampleur sans précédent
Car, depuis
quelques semaines, et un an après le « Printemps de la Perle »
qui a fait vaciller la dynastie sunnite en place, sauvée alors in extremis
par l’armée saoudienne, la contestation de la « minorité
majoritaire » chiite (70% des nationaux du royaume) prend de l’ampleur : vendredi
9 mars, le royaume a même connu la plus grande manifestation de son histoire.
Des dizaines de milliers de personnes – 100 000 prétend l’opposition, une
estimation confirmée par un reporter de Reuters – sont descendues sur la
principale artère de la capitale Manama, et d’autres villes du Bahreïn ont
connu des mouvements. Les manifestants répondaient à l’appel d’un
dignitaire religieux chiite, cheikh Issa Kassim. Les banderoles dénonçaient la
dictature de la dynastie al-Khalifa et réclamaient la libération des détenus
politiques. Le cheikh Kassim a pris la parole pour dire que les manifestants ne
transigeraient pas avec ces revendications. Des incidents avec les forces de
l’ordre ont suivi, qui auraient duré une heure. D’autres incidents seraient
intervenus dans un quartier de Manama et dans un village avoisinant. Le gros
des manifestants s’est dispersé sans incident, mais le mouvement chiite a pris
la mesure de sa force. D’autant que le même jour, un démonstration des
partisans du pouvoir n’a réuni que quelques centaines de personnes ! Des
milliers de personnes avaient déjà manifesté le 4 mars, réclamant ouvertement
la chute de la dynastie au pouvoir.
"A bas
les Khalifa !" : Manaa le 4 mars. Autant dire "à bas le al-Thani et
les Séoud" !
Le
mouvement, après une période d’atonie due à la répression, est reparti à la fin
de l’année dernière. Le 24 janvier, notamment, une vague de manifestations a
secoué le royaume-île. Puis, le 14 février, des heurts avaient opposé plusieurs
milliers de manifestants qui tentaient d’investir la place centrale de Manama,
haut-lieu de la révolte bahreinie de février 2011. Le 16, les troubles avaient
touché plusieurs localités du royaume. Et le 20 février, des jeunes
s’étaient encore affrontés aux forces de l’ordre, suite à la mort d’un jeune
manifestant chiite qui s’était immolé par le feu pour des raisons politiques.
Trois
semaines plus tard, le mouvement est plus fort et déterminé que jamais, et on
se demande comment la monarchie des al-Khalifa, et surtout son protecteur saoudien – qui a laissé des troupes sur place -, peuvent réagir à plus ou moins
brève échéance. On se doit se rappeler que par sa situation géographique,
coincée entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, le royaume du Bahrein est un baril
de poudre, plus encore que de pétrole, géostratégique. Le royaume abrite une
base navale américaine, alors que la tension demeure très vive entre Washington
et Téhéran. Les monarques sunnites wahhabites ne peuvent rester sans réagir
face à un mouvement qui peut s’étendre à une partie de l’Arabie Saoudite, qui a
ses minorités chiites de plus en plus turbulentes elle aussi.
Les
manifestants de Manama réclamaient la « démocratie« . Mais la
démocratie au Bahrein, ça signifierait l’arrivée d’une majorité chiite au
pouvoir, et un exemple angoissant pour le Qatar et l’Arabie Saoudite. Bref, ces
deux royaumes et le Conseil de coopération du Golfe vont devoir se concentrer
assez vite sur leurs propres affaires, après avoir échoué à subvertir la Syrie.
La roue tourne, décidément.
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