A Bagdad la Ligue arabe baisse le ton et sauve la face
Par Louis Denghien, le 30 mars 2012
Changer son fusil d’épaule tout en s’efforçant de ne pas
perdre la face, c’était le défi qui attendait la Ligue arabe réunie
jeudi 29 mars en sommet à Bagdad : les dirigeants arabes ont donc
exhorté le gouvernement syrien ET l’opposition à un « dialogue sérieux« . Comme le note l’AFP, à l’exception de la Tunisie « ennahdaïsée« ,
aucun des 21 pays représentés – pas même le Qatar et l’Arabie Séoudite
– n’a appelé à un départ du président Bachar al-Assad, et tous ont
rejeté l’idée d’une intervention militaire, quelle que soient ses
couleurs, en Syrie. La déclaration finale du sommet proclame que la
Ligue arabe est « en faveur de l’unité et la stabilité de la Syrie et contre toute intervention militaire« .
Des résidus de « qatarisation »
Évidemment, la Ligue arabe ne pouvait se déjuger totalement
par rapport à son attitude anti-Bachar récente : la déclaration
condamne aussi « les violations des droits de l’homme contre les civils » et les dirigeants arabes considèrent que « le massacre de Bab Amr commis par les forces militaires et de sécurité syriennes comme des crimes contre l’humanité« ,
reprenant ainsi la terminologie du Haut-commissaire aux droits de
l’homme de l’ONU, Navi Pillay. On peut penser qu’il s’agit là d’un lot
de consolation pour le Qatar et l’Arabie Séoudite, mais les termes
demeurent quand même pour le moins polémiques. Et injustes dans la
mesure où le gouvernement syrien s’est efforcé, à Bab Amr, de faciliter
l’évacuation des non combattants, et que ses forces ont pilonné et
combattu, non pas des femmes et des enfants, mais des combattants
utilisant la population comme un bouclier humain.
Pour le reste, les mots et les principes
contenus dans la déclaration finale nous semblent sceller la défaite du
Qatar et du CNS, autrement dit des radicaux qui ne sont vraiment plus,
tant dans l’espace arabo-musulman que dans le reste du monde, les
arbitres et les incontournables qu’ils pouvaient paraître être, ne
serait-ce que deux mois plus tôt. C’est tellement vrai que Doha
et Ryad avaient ostensiblement pris leur distance avec la sommet de
Bagdad, n’ y envoyant que des subalternes et non les chefs de leur
diplomatie. C’est aussi que ce sommet marquait symboliquement le début
de la présidence irakienne de la Ligue arabe, après un an de leadership
qatari. Et l’Irak n’a pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le même
regard sur la crise syrienne que l’émirat et le royaume wahhabites. La
défaite de l’ASL et des groupes armés, encore meurtriers mais plus en
situation de faire basculer le cours des événements, le double véto
russe et chinois et aussi, il faut le souligner ici, la résistance de
Bachar, de son régime et d’une majorité des Syriens ont eu raison, au
bout d’une année terrible, de la formidable coalition géostratégique et
médiatique qui pensait pouvoir casser la Syrie telle qu’elle est.
Certes, l’axe occidental ne renoncera pas facilement à son rêve de
« remodelage » du monde arabe et d’isolement de l’Iran, mais une phase
s’est incontestablement achevée, sur la défaire des
Clinton/Cameron/Juppé/Erdogan/Séoud/al-Thani.
La nouvelle approche irakienne
Bachar al-Assad, justement, dans un message adressé jeudi
aux dirigeants du groupe des BRICS à New Delhi, a rappelé à ses alliés
que la Syrie a répondu favorablement au plan de paix arabe et à la
mission de Kofi Annan et qu’elle « n’épargnera aucun effort » pour assurer le succès de celle-ci. Toutefois, précise Bachar, « pour
faire réussir la mission d’Annan, il faut faire tarir les sources de
terrorisme visant la Syrie et en provenance de pays qui ont annoncé
avoir financé et armé les groupes terroristes« . Tout le monde aura
reconnu le Qatar et l’Arabie Séoudite qui ont crié leur volonté d’armer
– ou plutôt de continuer à armer – l’ASL et les divers groupes
activistes encore à l’oeuvre en Syrie. Là encore, on notera qu’à
l’occasion du sommet de Bagdad le Premier ministre irakien Nouri
al-Maliki a fermement condamné cette position qataro-séoudienne : « D’après
notre expérience en Irak, armer les deux camps en conflit va conduire à
une guerre régionale et internationale par procuration en Syrie« . En outre, ajoute al-Maliki, une telle initiative « préparera
le terrain pour une intervention armée étrangère en Syrie, ce qui
porterait atteinte à la souveraineté d’un pays arabe frère« . Et certes, en tant qu’Irakien Nouri al-Maliki sait de quoi il parle. Son
argumentation annonce sans doute l’approche du dossier syrien que
l’Irak entend privilégier à la tête de la Ligue arabe : ne pas heurter
de front les extrémistes pro-islamistes et pro-atlantistes que sont le
Qatar et l’Arabie Séoudite, mais opposer à leurs menées les arguments de
la modération, du réalisme et de l’indépendance arabe. C’est sans doute en effet, la meilleure façon de les marginaliser au sein du monde et de la Ligue arabes.
« Brillant second » des pétro-monarques, le président
tunisiens sous influence islamiste Moncef Marzouki s’est singularisé à
Bagdad par sa très vive condamnation du régime syrien – « on doit y mettre fin »
-, demandant le départ de Bachar, mais son discours a dû sonner quelque
peu déphasé, ou démodé. Toute la mission – et le pari – de la
présidence irakienne sera de contenir ces maximalistes tout en
réintégrant la Syrie, ce pays ayant fait savoir qu’elle ne se
considérerait liée par aucune décision d’une organisation qui l’a
suspendue l’automne dernier. Un test délicat pour l’Irak nouvellement
libéré de ses faux-libérateurs américains et toujours ravagé par le
terrorisme islamiste dont certains, au sein même de la Ligue arabe,
encouragent l’implantation en Syrie.
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