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Tuesday, February 19, 2008

Les cinq héritiers du docteur Folamour

par Pascal BONIFACE

(IRIS, 15 février 2008)

Cinq anciens chefs d'état-major de pays occidentaux, le Général John Shalikashvili (Etats-Unis), le général Klaus Naumann (Allemagne), le maréchal Lord Peter Inge (Grande-Bretagne), le général Hank Van den Breemen (Pays-Bas) et l'amiral Jacques Lanxade (France), viennent de publier un document qui, s'il était suivi, aurait des répercussions stratégiques majeures et lourdes de menaces nouvelles. Ils appellent en effet à un nouveau pacte entre l'Europe et l'OTAN pour faire face aux nouveaux défis stratégiques. Ils demandent qu'il soit mis fin aux obstructions européennes et aux rivalités avec l'OTAN. Ils prônent l'usage de la force sans l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, lorsqu'une action immédiate est nécessaire, pour protéger un grand nombre de vies humaines. Ils estiment également que l'utilisation, en premier, des armes nucléaires doit rester une possibilité comme instrument ultime pour éviter l'usage d'armes de destruction massive.

Que peut-on penser de ce document de cent cinquante pages ? Il ne s'agit certes pas d'une position officielle de l'OTAN, mais du point de vue personnel de cinq officiers de hauts rangs, désormais en retraite.

Mais les positions passées par les différents signataires du texte, le fait qu'ils viennent de cinq pays importants, donnent au document un prestige et une autorité intellectuelle certaine. On peut également penser - et craindre - que ces anciens officiers n'ont pas tout à fait agi comme des électrons libres et que leur document est, d'une façon ou d'une autre, le reflet d'un certain courant de pensées existant parmi les responsables actuels de l'OTAN.

Ces idées sont, par ailleurs, parfaitement troublantes. Passons rapidement sur la demande traditionnelle d'un monde occidental uni, présenté comme une nécessité du fait des nouveaux défis stratégiques. Le défi du terrorisme n'est pas d'une nature supérieure à ce qu'était la menace soviétique autrefois. Faut-il vraiment se mettre en rangs serrés au sein de l'OTAN, nécessairement sous leadership américain ? Il est évident que si quelqu'un doit diriger l'alliance, cela ne peut être que par les Etats-Unis. En fait, ce qu'ils veulent, c'est mettre fin aux opinions alternatives ou dissidentes au sein de l'OTAN et d'en faire une organisation monolithique. Au vu de certaines erreurs stratégiques majeures faites par les Etats-Unis, il n'est pas certain que ce soit une clef pour la réussite.

De même, on ne peut qu'être extrêmement choqué par la demande de passer outre le Conseil de sécurité des Nations Unies pour entreprendre une action militaire. C'est tout simplement contraire au droit international. La justification de sauver des vies humaines semble être plus un prétexte qu'autre chose. Les leçons de la guerre d'Irak n'ont apparemment pas porté. Un monde occidental unifié qui renforcerait ses capacités militaires, au moment où les Etats-Unis réalisent déjà, à eux seuls, 50% des dépenses militaires mondiales, et qui s'apprêterait à faire la guerre en dehors de toutes procédures légales internationales, ne peut qu'être une source d'inquiétude pour le monde extérieur, et pas seulement dans le monde musulman. On rentrerait rapidement dans un cercle vicieux : arguant d'une menace extérieure, les pays occidentaux se renforceraient militairement et augmenteraient leur intégration sous leadership américain. Cela serait perçu comme une menace par une partie du reste du monde, comme une volonté de domination du monde occidental, ce qui nourrirait l'hostilité à son égard. Bref, on dénonce un danger et on contribue à l'alimenter.

Cette proposition sur la nouvelle stratégie nucléaire est encore plus dangereuse. Pendant la guerre froide, le monde occidental a basé sa défense sur la dissuasion nucléaire. L'idée était de dissuader l'Union soviétique de se livrer à l'agression par la menace d'une riposte nucléaire. Pour les partisans de la dissuasion, les armes nucléaires sont des armes politiques dont le but n'est pas de gagner des guerres, mais de les éviter. Mais il y a toujours eu une autre lecture des armes nucléaires, estimant qu'elles servent à gagner les batailles, qu'elles sont des outils militaires plus efficaces que les autres. En lisant le document des anciens chefs d'Etats majors, on voit que leur conception des armes nucléaires est celle-la. La dissuasion nucléaire est certes incompatible avec le concept de non emploi en premier. Il faut bien menacer d'utiliser les armes pour éviter la guerre. Mais la menace n'a pour but que d'éviter l'utilisation des armes nucléaires. Ce que propose nos anciens chefs d'état-major est bien différent : il s'agit, non plus d'empêcher un conflit par la menace d'utilisation d'armes nucléaires mais d'utiliser ces armes avant même qu'un conflit ait éclaté. Et ainsi de faire usage des armes nucléaires pour une frappe préventive de manière à détruire les capacités de l'adversaire éventuel. Le docteur Folamour a cinq héritiers.

Institut de Relations Internationales et Stratégiques

contact@iris-france.org

http://www.iris-france.org/Tribunes-2008-02-15.php3/

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