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Monday, July 04, 2011

La Grèce, quel avenir?

La Grèce: le dernier exemple en date de la dérive sans fin du capitalisme




"La spéculation est une activité humaine consistante à imaginer, à anticiper les réactions et activités d’autrui, comme si nous étions à sa place, et à porter un regard sur notre propre activité, comme si nous étions un autre. C’est donc la mise en miroir (speculus)"

Plusieurs voix demandent l’interdiction de la spéculation. Cette demande en soi est un non-sens économique. Elle témoigne d’une méconnaissance profonde du monde de la finance et de la nature même du capitalisme. Techniquement, rien ne permet dissocier une opération de spéculation d’une opération de couverture. L’arrêt des activités spéculatives est un voeu chimère. Car par essence, le capitalisme est fondamentalement spéculatif. Les activités de spéculation se sont développées de pair avec la déréglementation financière, une déréglementation défendue et soutenue par les tenants du capital. Ce qui devrait être mis en cause aujourd’hui, c’est la place prépondérante de la spéculation dans ce qu’on appelle le nouveau capitalisme financier.

Pour réduire les activités spéculatives, il faudrait refaire ce que les différents gouvernements et institutions Internationales on défait depuis le début des années quatre-vingt. Il faudrait aussi, au passage, retirer le prix Nobel à ces économistes au crédit très entamé (Friedmann, Hayek, Paul Samuelson ...) qui ont fait du marché un orfèvre de l’efficience et de l’efficacité, préconisant ainsi une déréglementation sans limites. Cette brigade d’acclamation du tout marché a dessiné le cadre idéologique qui a été à la base de la déréglementation des marchés et le premier responsable des crises financières.

Le dernier exemple en date de la dérive sans fin du capitalisme financier est celui de la Grèce. Notre objectif est de décrire techniquement ce qui se passe en Grèce. Toutes les opérations que nous allons essayer de décrire sont légales. Les banques et les institutions financières qui les pratiquent n’encourent aucune sanction ni financière ni pénale.

Acte 1

Goldmann and Sachs et d’autres banques qui ont aidé la Grèce, grâce à des produits financiers sophistiqués, à dissimuler sa dette à Bruxelles sont parfaitement au courant de la fragilité financière de la Grèce. En plus d’avoir touché de confortables commissions pour leur montage financier ses derniers ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin et décide d’attaquer la Grèce et à travers elle toute la zone euro. Le Wall Street Journal nous apprend dans son édition du 27 février que différents dirigeants de banques et de fonds spéculatifs se sont réunis dans un restaurant de Manhattan pour se concerter sur une éventuelle attaque contre la Grèce et les autres pays fragiles de la zone. La cible finale est l’euro. Plus l’attaque est concertée et massive plus le gain est important.

Acte 2

La meute commence par vendre des bons de trésor grec (titre de la dette Grec) -qu’il ne possède toujours pas- à un prix déterminé à l’avance et une date fixée à l’avance.

À titre d’exemple, Goldman and Sachs va vendre des bons trésors grecs pour un prix fixé à l’avance (100 euros) et une date fixée à l’avance (10 avril 2010). Goldman and Sachs ne possède pas de titre grec, mais parie sur le fait que le 10 avril le titre ne vaudra plus 100 euros, mais seulement 70 euros ce qui lui permettrait d’empocher une plus value de 30 euros.

Cette opération de vente massive des titres à terme entraîne une baisse des titres grecs, obligeant le gouvernement à offrir des taux de plus en plus élevés pour attirer les créanciers. Ces augmentations des taux handicapent encore plus la Grèce et entretiennent le doute sur la probable cessation de paiement du pays.

Acte 3

Pour se protéger contre la faillite de la Grèce, les mêmes acteurs qui vendent les titres à terme souscrivent en même temps une assurance. Ils contractent ainsi sur les marchés des produits dérivés un CDS (Credit Default Swap). Ce produit permet de contracter une assurance pour une obligation (titre grec) qu’on ne possède pas.

En réalité, les spéculateurs ne s’assurent pas contre la faillite de la Grèce, mais parient sur l’augmentation des prix des CDS. Plus le climat de doute sur la faillite de la Grèce est entretenu plus le prix des CDS va augmenter. Aujourd’hui les taux des CDS sont de 4,2% contre 1,2% en octobre. En d’autres termes, il faut débourser 420 000 euros pour assurer 10 millions d’euros de titres grecs. Six mois plutôt il en fallait seulement 120 000 euros. L’augmentation des prix des CDS accroît encore la pression sur le titre grec qui va baisser augmentant ainsi la marge des spéculateurs. ..

Acte 4

Hypothèse 1 : la spéculation continue, les taux d’intérêt explosent, personne ne veut plus des titres grecs, le pays déclare qu’il ne peut plus honorer sa dette. Les titres grecs ne valent plus rien. Les spéculateurs empochent la différence entre les prix fixés à l’avance et le prix actuel. Explosion du chômage, faillite en cascade, risque de contagion envers les autres pays de la zone euro, pression sur la BCE, dépréciation de l’euro...

Hypothèse 2 : la Grèce obtient un soutien sans faille des puissances économiques voisines, les spéculateurs arrêtent de vendre des titres grecs à terme, il récupère la différence entre le prix des ventes des titres et le prix actuel. La hausse de la valeur des CDS permet au vendeur d’empocher des plus valus. L’économie réelle s’effondre, austérité budgétaire, baisse des salaires, augmentation du chômage.

Dans les deux hypothèses, les conséquences sociales et économiques sont dramatiques pour le pays en question.

Épilogue

Rien ne permet d’identifier les opérations décrites ci-dessus comme spéculatives. Si on interroge naïvement les dirigeants de Goldman and Sachs sur la nature de leurs opérations en Grèce. Ils répondront la main sur le cœur qu’ils n’ont cherché qu’à se protéger contre le risque d’insolvabilité de la Grèce en utilisant les moyens mis en place par les différents marchés financiers. Ils n’ont fait que vendre à terme des obligations qu’ils ne possèdent pas tout en prenant la précaution de les assurer. Pourquoi le marché permet-il de telles opérations? Pourquoi de tels outils existent?

Les gens qui veulent interdire les opérations de spéculations sans réformer en profondeur les bases mêmes des marchés financiers sont sois des démagogues, sois des illettrés profonds, soit des gens que la structure actuelle du marché arrange bougrement.

En 2008, nous avons écrit un article sur la crise des subprimes, nous avons conclu par ses phrases. " Une fois la crise passée, tous les discours sur la nécessaire réforme du système seront lettre morte. Car n’importe quel économiste ultra libéral fut-il sait très bien que les crises sont inhérentes au système, car le système est basé sur la recherche permanente du profit sans aucune considération éthique et avec un mépris sans fin pour la morale." Je garderai la même conclusion pour ses quelques lignes, en attendant un monde meilleur.

Walid HASNI est économiste

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