Dans Tripoli martyrisée
par Gilles Munier (Afrique Asie – juillet 2011)
Vendredi 1 juillet 2011 5 01 /
Frontière tuniso-libyenne, 8 juin - Une file impressionnante de voitures immatriculées en Libye attend au poste de douane. Des centaines de Libyens fuient Tripoli violemment bombardée par l’OTAN, la veille. Le bilan des victimes des 60 frappes du 7 mars, jour anniversaire du colonel Kadhafi, est lourd : 31 morts et des dizaines de blessés Depuis le début de l’intervention occidentale, des civils meurent chaque jour dans la quasi indifférence des médias occidentaux : 718 ont été tués entre le 19 mars et le 26 mai, 4067 blessés dont 433 dans un état grave. De passage en Libye le 30 mai, les avocats Roland Dumas et Jacques Vergès ont déclaré qu’ils vont porter plainte contre Nicolas Sarkozy pour crime contre l’humanité, au nom d’une trentaine de familles qui ont perdu des proches dans les bombardements.
Jusqu’à Tripoli, la surveillance du territoire est assurée par des volontaires armés, issus des tribus des régions traversées. Une trentaine de check- points filtrent la circulation.
Le silence de l’UNESCO
L’hôtel Rixos, palace 5 étoiles, a été réquisitionné pour les journalistes. Pendant mon séjour, je n’y ai rencontré aucun Français. A écouter ou lire leurs reportages, Tripoli est en état de siège, les habitants calfeutrés chez eux. Il n’en est rien. Si de nombreux magasins et restaurants sont fermés, c’est parce que le pays subit un embargo de fait et que le temps est aux économies. Le manque d’essence y est aussi pour quelque chose : les automobilistes mettent jusqu’à trois jours de queue pour faire le plein. De plus, 70 000 Libyens sont réfugiés en Tunisie ; d’autres ont fui Benghazi pour l’Egypte.
9 juin, 6 heures du matin - La sirène d’alarme résonne dans les hauts-parleurs du Rixos. L’ordre d’évacuation est donné. Ce n’est pas un bombardement, mais un incendie qui s’est déclaré dans une chambre. Des journalistes en feront leur sujet du jour, alors que des missiles sont encore tombés sur la ville et ses environs dans la nuit. Pour pimenter le non- événement, ils affirmeront que les pompiers sont arrivés en retard, ce qui est faux.
En visitant les sites bombardés, on ne peut que s’interroger sur les buts de l’OTAN. La plupart des cibles sont déclarées « centres de commandement », même si elles n’ont rien de militaires. Evidement, les quatre hôpitaux touchés soignaient aussi des soldats blessés ; mais qui pourrait le leur reprocher ? Le 29 avril, le Centre du Livre Vert, la plus grande bibliothèque du pays, a été détruit. C’était un symbole de la Révolution libyenne qui narguait l’OTAN. Mais, on ne peut que s’étonner du silence de l’UNESCO qui avait classé la bâtisse, un ancien palais turc, au patrimoine mondial. Aux abords se trouvaient une maison abritant une association caritative s’occupant d’enfants et la commission des Affaires étrangères du Congrès général du peuple (Parlement) : les chasseurs de l’OTAN sont repassés, à haute altitude, pour les détruire.
Un rapport dérangeant
Autre cible visitée : le siège du service anti- corruption. Ses archives ont été détruites, disent les habitants d’une rue proche, pour faire disparaître les dossiers des membres du Conseil national de transition (CNT) de Benghazi. Un renvoi d’ascenseur de l’OTAN à ses protégés, en quelque sorte. Une fille de 12 ans qui habitait tout près, choquée par l’explosion, n’a pas supporté la pluie de missiles qui s’est abattue sur la ville le 7 juin. Elle a tenté de se suicider en avalant des médicaments prescrits pour sa mère. Je lui ai rendu visite à l’hôpital. Sous sédatifs, elle a les jambes paralysées.
Le bombardement du 30 avril visait bien Mouammar Kadhafi. Le colonel et son épouse avaient quitté leur maison familiale une demie heure plus tôt. Trois missiles l’ont pulvérisée, tuant un de ses fils, et trois de ses petits-enfants. Aïcha, sa fille, dirigeante de l’organisation humanitaire Waatassimou, a porté plainte à Bruxelles contre l’OTAN pour crime de guerre, et à Paris contre Nicolas Sarkozy et Gérard Longuet, ministre français de la Défense, pour l’assassinat de sa fille Mastoura (4 mois), de son frère et de ses neveux.
Fin mai, l’influence des djihadistes en Cyrénaïque a été mise en évidence par une mission dont faisait partie Yves Bonnet, ancien directeur de la DST*. Pour les Libyens, le risque qu’Al-Qaïda, ou un gang maffieux, s’empare d’une partie des stock de gaz moutarde qui devait être détruite en accord avec l’ONU, est réel. Ils sont pour l’instant sécurisés, mais jusqu’à quand ?
(*) http://www.afrique-asie.fr/index.php/category/maghreb/actualite/article/libye-un-avenir-incertain
Par Gilles Munier
http://www.france-irak-actualite.com/article-dans-tripoli-martyrisee-78280537.html/
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