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Tuesday, September 24, 2013

Québec: Le débat sur le port du voile

Port du voile - Les motifs derrière les apparences

23 septembre 2013 | Isabelle Porter | Éthique et religion
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir Les motifs pour lesquels une musulmane porte le voile sont multiples. Bien sûr, certaines le portent par conviction religieuse, mais d’autres le portent pour des raisons purement esthétiques.
Québec — La sociologue Leïla Benhadjoudja travaille depuis trois ans sur le féminisme des musulmanes francophones du Québec. Elle constate qu’un monde sépare la réalité de ces femmes de la perception qu’on peut avoir d’elles. Surtout lorsque le voile entre en ligne de compte.

« On ne peut pas faire de corrélation directe entre le port du voile et les rapports de domination qui peuvent exister dans un couple », souligne l’étudiante au doctorat basée à l’UQAM.

« Chez les femmes musulmanes, la représentation qu’on se fait du corps, du couple, de la famille peut différer, mais ça ne veut pas dire que ce sont des femmes soumises. C’est très paternaliste de dire ça. »

Les femmes voilées sont très minoritaires parmi les musulmanes du Québec, et parmi celles qui portent le hidjab, les trois quarts ne sont pas fondamentalistes.

Or, avec l’actualité internationale et des drames familiaux très médiatisés comme celui de la famille Shafia, les stéréotypes ont la vie dure. « Quand elles disent publiquement : “Je ne suis pas soumise, c’est mon choix”, il reste un soupçon. »

Un voile, plusieurs sens

Leïla Benhadjoudja a concentré ses recherches sur un groupe bien particulier : des musulmanes engagées qui militent au sein de différents organismes. Sur le « terrain », elle a noté à quel point le voile pouvait avoir un sens différent d’une femme à l’autre.

« Il y en a qui le portent par appartenance à une religion. D’autres, par appartenance à une communauté. Certaines le portent par pure spiritualité, d’autres par pure esthétique. » Par esthétisme ? « Bien sûr ! Il y a des voiles roses, rouges. Il y a des femmes qui se sentent belles avec leur voile. Ça, je sais, c’est difficile à comprendre, parce qu’ici, la norme est autre. »

D’une génération à l’autre, l’islam est souvent vécu de façon différente. « Certaines femmes [plus âgées] ont porté le voile par tradition. Les jeunes sont beaucoup plus dans une recherche spirituelle. On s’approprie la religion et on en fait quelque chose d’individuel. »

Elle suggère qu’au Québec, notre passé catholique nous fait réagir de façon particulièrement sensible au phénomène. « Le malentendu au Québec, c’est qu’on y a vécu une Révolution tranquille, dont une des luttes s’est faite contre le pouvoir de l’Église. Sauf que ces néo-Québécoises qui sont nées ici ou ailleurs n’ont pas vécu le même processus. Si pour certains Québécois, la religion représente un passé douloureux, ce n’est pas le cas pour les nouveaux Québécois, et c’est là qu’est le “clash”. »

Féminisme islamique

Quand même : que pensent ces femmes du port de signes beaucoup plus contraignants comme le niqab ou la burka ? « Il y a de tout. Il y a des femmes qui n’appuient pas le niqab. Il y en a qui croient que c’est le choix de celles qui veulent le porter… Vous savez, [les musulmanes], ce n’est pas une équipe de foot ! Ce n’est pas un parti politique avec une ligne de parti. Il y a de tout. Elles ont leurs opinions, ce sont des individus - j’ai presque envie de dire - comme les autres. »

Leïla Benhadjoudja souligne qu’il existe aussi dans le monde un courant de « féminisme islamique ». Ce mouvement est apparu au cours des années 1980 en Iran quand des croyantes ont voulu proposer une interprétation plus féministe du Coran.

Dans un article paru l’hiver dernier, elle explique que « cette lecture basée sur le Coran repose sur le principe d’égalité totale et absolue entre les sexes ». « Certaines intellectuelles musulmanes et féministes sont très critiques quant au “fiqh”, la jurisprudence islamique, car il a toujours été confié à des hommes. » Elle avance même à un certain endroit que ce féminisme islamique fait l’objet d’une sorte de « révolution tranquille ».

Par contre, elle juge très important de se fonder sur la réalité d’ici et non de l’Iran ou du Maroc pour réfléchir au port du voile. Les femmes qu’elle a rencontrées ici ne comprennent pas pourquoi « elles doivent se justifier par rapport à ce qui se passe en Afghanistan ».

Depuis que le débat sur la Charte a démarré, les plus étonnées sont les jeunes, celles qui sont nées ici. « En fait, elles tombent de leur chaise. Elles n’arrivent pas à y croire, parce que ce n’est pas le Québec dans lequel elles ont grandi. […] On leur renvoie l’image qu’elles ne sont pas tout à fait d’ici, pas tout à fait québécoises. »

Se faire entendre
 

Ces femmes, elle les a rencontrées à nouveau lors des récentes manifestations à Montréal. Certains slogans l’ont marquée comme « Pauline Marois, c’est à ton tour de nous laisser parler d’égalité » ou encore « Le Québec n’est pas la France ».

Parmi ces femmes, beaucoup n’étaient pas des habituées des manifestations et de l’action sociale. « Elles disaient : “Qu’est ce qu’on a fait de mal ? On n’a jamais causé de problèmes !” »

La bonne nouvelle, c’est que des débats comme celui qui nous anime actuellement peuvent amener ces femmes à davantage se faire entendre. « Je vois un changement. Je crois que certaines vont peut-être décider de se mobiliser. »






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